Portofolio #1



Souvenirs

 
La série des Portofolio sont simplement des moments que j’ai envie de partager, en racontant l’histoire qui existe derrière une photo. Celle-ci est la première.

Mon ami Ilya m’as invité en Janvier à venir passer le week-end chez ses grand-parents, loin de la ville pressé, loin du bruit. C'est un ami que je vais voir sans vraiment prévenir, je l’appelle en étant déjà en chemin pour chez lui. Il joue du piano, je l’écoute, et on se raconte nos histoires, nos vies. A peine arrivé, il me proposait de partir avec sa maman dans la maison de ses grand-parents, où nous allions parfois étant enfants. Cet appel était venu au moment parfait, tout commençait déjà à ralentir. La voiture courait sur les petites routes et nous entrions dans un nouveau monde, de silence et de calme, laissant la ville derrière nous. Plus la route devenait petite, plus le silence qui nous enveloppait grandissait. Nous regardions par la fenêtre, se rappelant la route de notre enfance qui n’avait pas changé, pour parvenir enfin à la maison devant laquelle la route s’arrête. Il n’y a rien d’autre, rien de plus sur cette route, et c’est exactement là que nous allions.

Dans cette maison au milieu du paysage, un ciel bleu et des nuages étaient peints au plafond, comme si cette maison était toujours ouverte, prête à accueillir plus, prête à s’ouvrir. Ce n’était qu’une peinture du grand-père d’Ilya, mais j’avais l’impression de sentir le vent dans mon dos. Nous entrions dans une maison d’artistes, remplies de tableaux, de couleurs, de livres, de chats, et de toute l’attention qu’une grand-mère sait verser dans sa maison. Je me suis depuis toujours demandé comment les artistes trouvaient leurs inspirations, comment ils faisaient pour sortir tout cela d’eux-mêmes. L’homme qui était en face de moi avait passé sa vie à peindre. Il avait quitté l’école à 18 ans en disant à ces parents que ce n’était simplement pas pour lui, il était fait pour la peinture, et il a commencer à peindre, encore plus. Il fait partie de ces gens pour qui le chemin est clair, c’est une évidence. Et il a peint toute sa vie, parce que c’était ce qu’il devait faire, parce que c’était ce qu’il aimait, et je trouve qu'il y a dans cette détermination à destiner sa vie entière à une cause unique, comme un cadeau qui nous coûte une vie, mais qui vaut plus que nous-même. 

Je lui ai alors demandé comment il trouvait son inspiration, comment avait lieu cette transformation - ”L’inspiration, ce n’est pas quelque chose que tu trouve, c’est quelque chose qui vient à toi. Tout ce que l’inspiration demande c’est de l’espace, ton rôle est de créer cet espace pour qu’elle puisse s’installer. C’est la même inspiration que celle de ta respiration”. Remplir l’espace, c’était donc ça, faire de la place pour que le monde vienne s’y installer. Après de longues conversations, le chat sur mes genoux, cet homme dans sa bibliothèque, Ilya toujours proche du piano, nous sommes allés nous coucher, l’esprit déjà rêveur.

Je me suis réveillé avant Ilya, pour trouver sa grand-mère dans la cuisine qui préparait notre petit déjeuner. La lumière du matin emplissait l’espace, rayonnait sur les livres, et tout était si doux dans cette maison, il n’y a sûrement que les grand-mères et le soleil qui sont capables d’une telle chaleur. Dans cette endroit, tout m’apaisait, comme si tout les livres de cette maison, tout les meubles, toutes les pierres s’étaient mis d’accord pour n’être que douceur.



L’arrière grand-mère d’Ilya venait aujourd’hui manger avec nous. Quatre générations étaient assises autour de cette table, d’une famille avec laquelle je ne partageait aucun sang, mais dont je faisais partie. Les yeux de cette vieille femme, paraissaient toujours au bord des larmes, comme le signe d’une tristesse profonde. Mais ce n’était que l’âge qui causait les larmes de ces yeux vivants. Elle nous raconta pendant le repas tant d’histoires sur sa jeunesse, sur sa vie, et elle nous regardait nous, la plus jeune génération de cette table, avec tant de souvenirs, tant de joie. Nous avons tellement ris. Et quand chacun eu finit son assiette, tout redevint calme, on n’entendait plus que la cafetière sur le feu. Et pour cette femme presque aveugle, la fin du repas ne signifiait qu’une chose : vin et cigares.

Dans l’odeur du café mélangée à celle d’un cigare, chacun se perdait un peu dans ses rêves, dans toutes ces vies possibles qu’elle nous avait raconté. Et dans ce calme qui s’installait, elle nous dit d’une petite voix : ”Je suis perdue.” Chacun retombat sur terre, comme si elle venait d’énoncer notre pensée à tous. ”Je ne vois plus mon mari si souvent.” Et à travers sa voix presque tremblante, si loin de la voix de ses histoires du repas, nous pouvions tous sentir a quel point elle avait aimé cet homme. Un moment passa, et perdue dans ces pensée, elle se répéta : ”Je ne vois plus mon mari si souvent.” Elle versait les larmes de son âge, les larmes des 98 ans de vie qu’elle avait derrière elle. ”Je suis perdue, et il me manque tellement que ça me hante.” Son fils qui était assis à coté d’elle essayait de lui rappeler que son mari était mort, et qu’elle l’oubliait à cause de sa maladie, à cause de l’âge. ”Comment pourrais-je l’oublier, quelle genre de femme est-ce que je suis pour l'oublier. Je voudrais m’enterrer, je ne suis pas faite pour vivre seule.” Toute cette tristesse sortait d’elle brute, mais sans aucune colère, elle était guidée par la tendresse de son fils et notre écoute. Sa pensée sortait telle qu’elle était dans son esprit, coupée, lente, et sa parole n’était que le reflet de son fil intérieur. Nous écoutions tous autour de la table, en silence, sans vraiment savoir quoi dire ou quoi faire. Et lorsqu’elle releva les yeux, elle vit que nous étions tous suspendu à son silence et nous dit : ”Je ne veux pas vous rendre tristes, c’est le passé et c’est mon passé.” Et comme si toute sa tristesse s’était évanouit, elle rayonnait à nouveau de joie, peut-être avait elle oublié sa tristesse. Même perdue, elle parvenait à retrouver la joie. ”Je ne suis pas ici pour la tristesse, je suis ici pour la joie” nous dit-elle.

Nous étions encore tous assis autour de la table, et la grand-mère d’Ilya profita de ce moment pour débarrasser la table. Nous restions assis, observant cette vielle femme presque aveugle, son cigare à la main. Elle ne pouvait pas arrêter d’oublier que son mari était mort, il y a huit ans maintenant, même si la joie lui revenait. Elle devait penser qu’il l’avait quitté pour une autre, parce qu’elle ne lui avait pas assez montré son amour et son fils lui dit : ”Il ne t’as jamais quittée maman, c’est la mort qui l’as pris. On pourrait dire que c'est la mort qui est devenue son amante.” Mais elle ne parvenait plus à se souvenir, comme si cette homme avait emporté une partie de leurs souvenirs dans sa mort. ”Je suis si triste qu’il soit partis, je l’aimais tellement que je lui aurais pardonné, même s’il avait eu une amante.” Je sentais que c’était difficile pour son fils de la ramener à la réalité, que ce n’était pas la première fois, car ce n’était plus la réalité dans laquelle elle vivait. ”Il avait l’alzheimer, tu ne te rappelle pas ? Tu allais le voir tout les jours, et un jour, il est mort. Sa maladie était si avancée à la fin, qu’il ne nous reconnaissait même plus.” - ”Mais il avait un beau visage, et je pouvais le voir”.

Elle trouvait dans le flot des ses souvenirs, tout ce qu’elle partageait avec nous. Elle était si touchante, si vraie, mais perdue dans toutes ces années qui étaient derrière elle, elle passait de l’extase au silence sans changer de regard. Ilya vint se rasseoir près de la table et elle se pencha vers nous. ”Personne ne veut mourir, mais après un certain temps les choses changent, et plus personne ne veut être le dernier à vivre encore. Parfois j’aimerais avoir perdu tout mes souvenirs, mais tout fonctionne là-haut. Vous devez vivre entièrement vous, parce qu’on vous envie, pleins de rêves et d’illusions. Je suis tellement heureuse d’être avec vous, et regardez moi, je vis comme si j’avais toujours 20 ans, je fume et je bois du vin. Bientôt il y aura une photo de moi dans le journal tellement je suis un ancêtre, mais je me porte bien, et c’est grâce à vous. Parfois j’oublie que ceux que j’aime sont partis, et parfois ça m’obsède, presque chaque fois que je sors de la maison, c’est pour apprendre que quelqu’un est mort, et je me demande quand viendra mon tour. J’aimerais partir moi aussi, mais d’un autre coté je vis bien, je suis si chanceuse de vous avoir.” Son fils se pencha vers elle pour lui baiser le front, comme à un enfant. Elle le regarda et lui dit : ”Tu es getra, ça veut dire que tu est aimant et vrai dans tes sentiments, mais c’est normale, car tu es encore très jeune.” Le grand-père d’Ilya lui demanda alors de jouer un peu de piano pour sa maman, et tout le monde se leva progressivement de table. Ilya commença à jouer alors que sa mère et sa grand-mère rejoignaient le salon, près du chat et des livres. Il ne restait plus que le grand-père d’Ilya et sa mère à table, et moi qui écrivait en écoutant. Elle fermait les yeux pour écouter la musique, puis se penchant vers son fils de 68 ans, elle lui dit doucement : ”Je suis tellement heureuse de t’avoir. Tu es sein gesind comme on le dit là où j’ai grandis. C’est ma mère qui finissait toujours ses phrases comme ça.” Et elle posa sa main sur son épaule, alors qu’il posait ses yeux sur elle. Il la regardait comme une mère regarde son enfant et lorsque musique passa et il lui dit simplement : ”Je viendrais te voir la semaine prochaine, et nous irons manger ensemble quelque part.”

Les souvenirs de cette femme se mélangeant avec la réalité, et il n’était pas toujours clair de savoir pour qui étaient ces mots, ou s’ils avaient un destinataire. ”Ma vie est trop longue pour moi. Je me sens seule. Et je m’accroche à toi, jour et nuit. Tout mes souvenirs sont à propos de ce temps, alors j’y pense, et c’est toujours à toi. Et toutes ces pensées, elles appartiennent au passé, et ce n’est pas drôle tu sais, je n’ai pas de main à serrer, il n’y a plus que moi et mes pensées. Et à qui je pense ? Je pense à toi, ta femme, nos enfants, et ma vie, qui était si belle. Je te trouve si doux, j’aimerais te donner tout ce que j’ai, parce que tu es vraiment quelqu’un de bon.” Ces mots et la musique nous portait, vers l’espace en nous où sont toutes ces questions. Il n’y avait rien d’autre que la musique et l’espace à remplir. Elle regarda son fils encore une fois et lui dit : ”Ce qui me hante, c’est que je ne sais pas comment te remercier.” Et elle ferma les yeux, comme pour se laisser emporter par la musique. 

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